mardi 30 octobre 2018

LE JOUR OÙ UNE FLICKETTE M'A MISE À MAL...


Compte-rendu à quatre têtes & 8 mains
de la soirée enregistrement-lecture d'Ivar Ch'Vavar

Le 12 octobre 2018  à La Maison du Théâtre/quartier St Leu d'Amiens. Avec par ordre d’entrée :  Christian-Edziré Déquesnes, Marie-Christine Menue, Dominique Dou et Dominique Braux
« Le jour où une flickette m'a mis à mal »
À cause de la Comédie Picarde

Moi qui ne rêve jamais, j'ai fait un rêve dans l'un de mes rêves mais en fait c'était pas un rêve mais la réalité pourtant j'ai cru et je crois encore que j'ai rêvé. Je viens de Douai. Je suis la route entre Arras et Amiens mais ce n'est pas la route que j'emprunte habituellement car je passe toujours par Albert. Dans le coffre de mon automobile, j'ai un carton plein du n°14 du pauvre périodique Ffwl Lleuw que d'ailleurs je décide d'un coup de nommer Aux Robes de Rimbaud et il en sera ainsi dès le n°15 à venir. Là, ce numéro, il a un épais supplément : VERS NOUVEAUX d'Arthur Rimbaud mais dans une version qui a été revue, réorganisée chronologiquement par Ivar Ch'Vavar et à la suite ce dernier a rédigé une très longue note - faut-il encore nommer cela une note ? -
Je suis content au volant de ma Dacia blanche et encore neuve parce la veille j'étais à Tournai en Wallonie Picarde, rue des Mouettes exactement ! Afin de photocopier une centaine d'exemplaires du Ffwl Lleuw n°14 qui va bientôt s'appeler Aux Robes de Rimbaud, il faut bien le redire, et autant du supplément : Vers Nouveaux. Je suis vraiment satisfait, je suis dans les temps car il est un peu plus tard que 18h alors que je rentre dans la banlieue nord-ouest d'Amiens afin de me rendre au Théâtre pour assister à l'enregistrement d'une lecture d'Ivar Ch'Vavar qui va réciter certains de ses poèmes arithmonymes*. C'est tout de même un événement ! C'est lui qui a inventé cette contrainte poétique, le vers arithmonyme. Oui ! Je suis très heureux car je vais ainsi pourvoir lui remettre des exemplaires de Vers Nouveaux de Rimbaud qui représente beaucoup pour Ivar Ch'Vavar.

En entrant dans la banlieue nord-ouest, à un rond-point, il y a des policiers qui arrêtent des voitures pour effectuer des contrôles ; ils ne m'arrêtent pas mais je me gare un peu plus loin et je vais leur demander comment me rendre au Théâtre car je n'ai pas de g.p.s et je n'en aurai jamais. Franchement, ils sont gentils, très aimables et très souriants avec moi puis même une flickette me prend à part pour vraiment m'expliquer le chemin et griffonner un plan sur une page arrachée d'un petit carnet rose qu'elle a sorti de sa poche révolver, un beau et clair petit plan qu'elle me dessine et je devine même qu'elle désire m'embrasser sur la bouche quand elle me signale « À Amiens, le théâtre s’appelle La Comédie de Picardie mais pas de problème avec mon plan vous allez trouver très facilement » ; je vois bien qu'elle est vraiment toute gaîte ! J'arrive sans aucune difficulté à La Comédie de Picardie et il y a même une place de parking de libre presque devant l'entrée. Je suis donc bien dans les temps. Je descends de ma Dacia blanche, je prends mon carton de Ffwl Lleuw n°14 et de Vers Nouveaux dans le coffre. Je traverse la rue, je suis déjà devant le portail de La Comédie de Picardie où personne n'attend car il est bien trop tôt ! Je suis en avance ! Il y a un vigile avec un brassard orange vigie pirate, je lui dis bonjour et demande si c'est bien ici que va avoir lieu l'enregistrement de la lecture d'Ivar Ch'Vavar, je ne sais plus si il a vraiment acquiescé verbalement mais il me demande ce que contient mon carton ; je lui explique et lui propose même de regarder pour vérifier, il me répond « Pas la peine puisque vous êtes donc attendu, rentrez je vous en prie ». Je m'exécute j'entre... Je traverse la cour, il n'y a personne ; j'entre dans le grand hall d’entrée, laù, pon in tchiens ! J'entre dans la salle du théâtre de La Comédie de Picardie pi laù pon eune mouke, coére étou toudi pon in tchien ! Perchonne quoé ! Sur la scène, c'est le grand vide, rien... enfin presque rien ; juste sur le bord de la scène tout à gauche, bien à gauche toute, en guise de petite estrade il y a une caisse recouverte d'une toile noire et devant un micro sur pied et un pupitre pour pouvoir visiblement y déposer des textes ou partition... Je pense « Cela c'est bien du Ch'Vavar, c'est ultra sobre puis bien sûr décentré, décalé et bin à goche, à goche to'te ! ». Fin bénache, heureux, serein, je m'assoie au premier rang, je pose mon carton à mes pieds et je ne vous cache pas mon allégresse d'être là mieux que bien placé au premier rang... Le temps passe... un bon moment... même un long moment, je reste seul dans le théâtre mais bientôt enfin quelques personnes rentrent dans le théâtre, ils viennent prendre place dans les premiers rangs. À leur conversation bruyante, je finis par avoir un doute : ils ne viennent pas visiblement et surtout auditivement pour une lecture d'Ivar Ch'Vavar. Je décide donc de m'en assurer et je leur demande. En effet ! Ils me confirment qu'ils sont là pour tout autre chose et un Monsieur, ou une Dame, je ne me souviens plus car mon désarroi est d'un coup si puissant ! m'informe qu'à Amiens, il y a deux Théâtres : La Comédie de Picardie et La Maison du Théâtre dans le quartier St Leu. Là, je comprends que c'est je suis dans un scénario mal embouché pour être au final dans les temps. Je prends mon carton, je sors de La Comédie de Picardie, je retourne à ma voiture et en route pour La Maison du Théâtre du quartier St Leu mais puisque je n'ai pas de g.p.s, je demande ma route à maintes reprises mais les personnes soit ne sont pas d'Amiens, ne peuvent donc pas me guider ou alors ils sont d'Amiens mais ne connaissent pas leur ville. Tout de même j'arrive à m'adresser à quelqu'un qui sait ; il m'explique mais oh la la... sens interdits, rues en travaux. Bref, la cata ! Quand j'arrive à La Maison du Théâtre, il est un peu plus de 20h, des personnes assises à une terrasse d'un bar-restaurant voisin m'annoncent que l'on vient juste de fermer les portes. Alors je me mets à converser avec mon carton de Ffwl Lleuw n°14 et de Vers Nouveaux puis d'un coup, saisissant Rimbaud, mais c'est quoi cette histoire-là ? C'est pire que dans un rêve de Claire Ceira ou de Ch'Vavar !? J'ai le désir de repartir mais j'entends clairement la voix d'Arthur qui s'adresse à moi « La nuit est douce, vas donc marcher un peu. Tu ne vas pas rentrer à Douai maintenant, tu reviens un peu plus tard quand ce sera fini et qu'ils t'ouvriront les portes alors ». C'est ce que j'ai fait ! Ainsi j'ai tout de même pu embrasser Ch'Vavar, lui remettre ces foutus Vers Nouveaux et j'ai rencontré aussi des Camarades que je connaissais seulement par le biais de mes correspondances avec eux mais dont je n'avais vu le visage, Mathilde, Marie-Christine, une Dominique au féminin, un Dominique au masculin, Alain, Guillaume et quelques autres... E-pi aveuck qui:te-z-ins ed chés Caùmarates, laù,  in s'intreuve à mon Ch'Vavar... Quand je repars, que je reprends ma route - toudi edzeur l'coéchie ! .. .je prends soin de prendre l'itinéraire via Albert mais au dernier grand rond-point en sortant d'Amiens : contrôle de Police. La flickette toute gaîte du début de mon rêve qui n'est pas vraiment un rêve pourtant cela y ressemble, non ? Elle me fait signe de me garer sur le bas-côté. Je m'exécute, je baisse ma vitre et souriante elle me demande « Alors c'était bien votre soirée à La Comédie de Picardie ? ». Je lui réponds « Si vous saviez ! Quelle histoire ! » alors elle me répond « Allez ! Allez, nous allons prendre le temps pour que vous me racontiez tout cela même si c'est long. J'ai tout mon temps puisque cette nuit même si ce n'est pas réglementaire, je suis en service solo. ». C'est à ce moment que dans mon rêve qui n'est pas vraiment un rêve je fais le choix de m'endormir tout éveillé ! Mais tout en pensant : demain, je sollicite par courrier quelques-uns des Camarades qui ont assisté à l'enregistrement de la lecture afin d'essayer de fournir un compte-rendu correct à Florence Trocmé qui me l'a demandé pour Poezibao.

Christian-Edziré Déquesnes

/

(Somme m'obsède
La Somme, pas Le,
Près du fleuve flotte un théâtre)
...
Alors Ch'Vavar entre dans la pénombre et marche droit vers le centre éclairé.
Il est venu pour nous, nous sommes venus pour lui.
Nous sommes là assis dans l'ombre sur les sièges rouges dans la boîte noire.
...
Pierre fait rouler chuinter pincer tinter
il cavale il rugit et
ses mots devenus sons grondent sifflent soufflent...
c'est un flot !
...se mettent en branle s'agitent s'excitent et
soupirent
...
Il ponctue ses paroles en tapotant ses feuilles blanches sur une petite table noire et basse tap tap
Debout
Droit
Une fois une main s'ouvre, grande
Une fois un bras se lève, c'est tout
...
Sommes-nous là
N'y sommes-nous pas?
Somnolents Ne sommes-nous pas !
De sa voix blanche et sincère, il dit.
c'est le dit de Ch'Vavar, dirait un Chinois,
c'est toudis c'que Ch'Vavar dit, dirait un Picard,
Ch'Vavar dit ses mots, pardi ! dirait tout homme
ces mots-ci faut qu'il soient dits!
et nous sommes pris!

Marie Christine Menue

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Ivar lit-il ?

Vendredi 12 octobre 2018, dix-neuf heures quarante-cinq, Maison du théâtre, Amiens, Picardie, France.

Four noir nous bouillons il bout en coulisses le verre d'eau sur la table chauffe deux grandes pattes noires croisées scotchées au sol attendent tout est noir on attend silence cri intérieur tous un grand corps entre se pose devant l'abscisse et l'ordonnée du son – Ivar va parler. C'est certain maintenant.
Voilà il est parti. Sa course est entamée. Il parle. Lit-il ?

Il nous parle adossé à son souterrain intérieur grand corps à peine se mouvant sur le sol feuillets en main bien tenus à peine remués faisant attention au son qu'ils pourraient émettre dans les pattes noires il a soif ne boit pas ça attendra la gorgée d'eau fait du son dans les micros quand on boit on n'articule pas bien et cette langue qu'il parle a besoin d'impeccabilité on ne boit pas cette langue nous on l'imprime en pleine poitrine on se chauffe dans la langue qu'on entend qui vient de loin qui vient de sa préhistoire on entre dans sa préhistoire l'humain sur le sol noir qu'il -

fouille archéologue à la recherche de tous ses os fouaille sa fatigue droit et doux même s'il rit pour lui nous on bouge pas on pipe pas mots les mots c'est lui qui les -

livre Alice à notre conjecture n'est plus une petite fille mais la fille du livre qu'on voit avec terreur mais c'est vrai ça on n'avait pas vu Alice comme ça depuis longtemps on l'avait oubliée Alice et les sept nains aussi peut-être Alice violentée et saupoudrée oui c'est vrai ça pourquoi le poète aujourd'hui ne raconterait-il pas des histoires ?

Des histoires pas vraies ou des histoires authentiques des histoires de tête du poète comme par exemple celles de l'intérieur de sa tête comme par exemple je pense à ça en même temps qu'il lit l'Alice la mort de Mandelstam qu'on n'a jamais vu mourir vu qu'il est soi-disant mort seul et qu'on lit dans un livre authentique sorti de la tête de -*

l'archéologue fouille encore fouille toujours fouaille encore fouaille toujours et nous on écoute toujours sans fatigue à l'arrêt ronronnant oreilles écarquillés dans le noir du four des dizaines de chats écoutent l'ami qui lit – lit-il ?

Il nous parle il nous fait cadeau de sa parole il nous fait entrer dans son cadeau il se rend compte qu'il lit son cadeau à des oreilles de chats immobiles on nous a dit pas bouger on bouge pas on nous a dit pas tousser pas éternuer nous sommes collés ensemble un seul chat gros chat d'Alice avec seulement permission de sourire grand silencieux sourire dans l'ombre.

On reste là à écouter cette langue c'est quoi on ne sait pas mais on sait - ce que c'est cette langue on ne pose pas de questions on sait d'où ça vient de loin de derrière nous on comprend tout on comprend rien on comprend tout on comprend tout ce qui se passe là dans l'ombre et la lumière du son finalement on est dans une compréhension d'avant le langage d'avant la lumière quelque chose d'avant l'humain devenu ce qu'il est il nous dit ça l'avant nous resté humain quand même ça nous émeut dans l'avant nous. On sait pas quoi faire. On contemple nos os. On sourit dans l'ombre.
On reste là à écouter grand sourire ouvert ensemble devant celui qui parle sans fatigue - qui au moment voulu de - au bord de l'échafaudage de lui seul choisi par lui seul – arrête -

Dominique Dou

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Pour tout dire, je ne suis pas vraiment friand de lectures poétiques car le corps y est souvent absent et que très vite je m’ennuie. (je sais, je devrais pas dire ça mais comme je vais sur scène également, je me l’applique à moi en premier)
« Le diable, c’est l’ennui » dixit Peter Brook

Mais là je suis un peu tombé sur le cul en écoutant et regardant la performance de Pierre car, c’en était une, et très belle.
A la fin j’ai dit à un ami assis à côté de moi : « Ceux qui ne sont pas venus ont vraiment eu tor » (sorry, toi c’était pas ta faute) et il était d’accord avec moi comme beaucoup d’autres personnes présentes un peu stupéfaites.

Pour moi, c’était comme une révélation, moins au niveau des textes que je connaissais mal, que dans la manière de nous les offrir : un souffle, une énergie, une présence corporelle, sensuelle, une grande justesse et une exigence de tous les instants.

Une performance physique, un engagement au service des textes, de l’humour, du recul sur soi, à faire pâlir bien des comédiens. Je pense ne l’avoir jamais vu et entendu avec cette intensité, mais finalement je le connais depuis peu.

Je suis un peu dithyrambique mais quoi ! c’est aussi une forme d’humilité parce que Pierre nous a mis tous très, très loin...

À suivre et à tantôt

Et une citation de Duchamp en bonus : « Mais tout l’effort de l’avenir sera d’inventer, par réaction à ce qui se passe maintenant, le silence, la lenteur, la solitude. Aujourd’hui, on nous traque. » (1945)

Dominique Braux


*NDLR, les vers arithmonymes comptent tous le même nombre de mots. Ainsi Hölderlin au Mirador d’Ivar Ch'Vavar est-il écrit en vers de onze mots chacun.

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